François Ozon (ÉTÉ 85) : "Je n'ai pas honte de faire des films populaires"

Direction les années 80's, "Sailing" de Rod Stewart et les vacances (pas si) insouciantes... Avec "Été 85", François Ozon fait rayonner une histoire d'amour bouleversante. Son oeuvre vient à point nommé après des mois de confinement. Pour nous comme pour le brillant cinéaste, qui signe là son 19e long-métrage.

François Ozon (ÉTÉ 85) : "Je n'ai pas honte de faire des films populaires"
© Jacques BENAROCH/SIPA

C'est l'un de nos plus grand cinéastes. Celui qui ne cède jamais à la facilité, variant les genres et les plaisirs sans se répéter. D'une déconfiture de couple (5x2) à une comédie musicale façon cluedo (8 Femmes), du mélo historique (Frantz) à un scandale d'église (Grâce à Dieu), François Ozon, 52 ans, séduit par la richesse de sa filmographie. Son dernier-né, Été 85, a l'allure et la majesté d'un premier film. Il y dépeint, avec sensibilité, les émois d'Alex, un jeune garçon qui tombe amoureux de celui qui l'a sauvé d'un naufrage (Benjamin Voisin). Pour le Journal des Femmes, le réalisateur revient sur cette expérience aux saillies intimes.   

Vous avez toujours pensé et conçu vos œuvres pour l'expérience de la salle de cinéma. Comment avez-vous vécu leur fermeture ?
François Ozon :
On se rend compte que ça nous a vraiment manqué. Deux mois et demi avec les yeux rivés sur d'autres écrans que ceux du cinéma, c'est dur. J'espère que les gens iront en salle. Visiblement, ça commence petit à petit. Moi, j'y suis déjà allé deux fois. Au début du confinement, il a été question qu'Eté 85, que j'ai tourné en Super16, soit mis sur une plateforme ; ça m'a complètement déprimé. Je me suis dit : "Tout ce travail pour être regardé sur un ordinateur…" Mais dès que j'ai su que les cinémas rouvriraient et que Thierry Frémaux nous proposait le label Cannes 2020, c'était banco pour une sortie le 14 juillet.

Etes-vous conscient que l'épisode du confinement et de la Covid redessinent les contours de votre film et lui donnent les atours d'un paradis perdu ? 
François Ozon :
Oui, bien sûr. Les circonstances actuelles changent la lecture du film. Suite à cette traversée du confinement, il procure autant de plaisir que de nostalgie. Les années 1980 nous apparaissent dès lors comme un éden perdu. Mon histoire se déroule en 1985, un peu avant que le Sida n'explose au sein de la société française. On avait le droit de faire beaucoup de choses qu'on ne peut plus faire aujourd'hui.

Vous décrivez volontiers Été 85 comme un film pour les adolescents sur les adolescents. Qu'est-ce qui vous fascine dans cette période de la vie ?
François Ozon : En réalité, j'ai fait ce film pour l'adolescent que j'étais. J'ai essayé d'y retrouver la naïveté qu'on a à cet âge-là. Le film est vraiment du point de vue du personnage d'Alex. Pour lui, c'est une première fois. Sa découverte de la sexualité et du sentiment amoureux est assez innocente. Il va se fracasser devant la réalité et ce garçon. J'y confronte deux visions du sentiment amoureux : celle idéalisée, romantique et passionnelle d'Alex, lequel croit au prince charmant, à l'ami de ses rêves, et celle de David, beaucoup plus mature, épicurienne et cynique. La force de l'histoire, présente dans le livre d'Aidan Chambers, réside véritablement dans cette confrontation.

"A travers l'art, on peut réécrire une histoire"

Avez-vous inconsciemment commencé le Cinéma pour faire ce film que vous n'avez pas pu voir ?
François Ozon :
C'est un propos de journaliste, ça (rires). Ma vocation de cinéaste est arrivée adolescent. (Réflexion) Je me souviens de l'histoire d'amour du bouquin, belle et romantique mais j'en avais oublié l'aspect morbide, ce côté obsessionnel sur la mort. Et, surtout, cette vocation pour l'écriture que trouve Alex grâce à sa résilience. On l'oblige à écrire pour raconter son histoire et, en même temps, ça lui permet de trouver sa voie. Il comprend que, à travers l'art, on peut réécrire une histoire. L'art transfigure le réel pour en faire quelque chose d'autre et ça, oui, je l'ai su tôt.      

François Ozon, Benjamin Voisin et Félix Lefebvre dans "Été 85". © Diaphana Dsitribution

Dans les années 80, l'homosexualité était traitée avec un côté sombre. Été 85 est très lumineux, être homo n'y est ni un enjeu ni un obstacle… Etait-ce votre mantra sur ce projet ?
François Ozon : Les films que je voyais à l'époque, aussi bons fussent-ils -Querelle de Rainer Werner Fassbinder, L'Homme Blessé de Patrice Chéreau ou Another Country de Marek Kanievska- proposaient des visions douloureuses, forcément dramatiques, où tout se passait toujours mal. Il n'y avait pas de représentation positive de l'Histoire gay. Ce n'est plus le cas aujourd'hui pour les jeunes avec les séries et le cinéma.

Il y a eu notamment Love, Simon !
François Ozon :
Oui ! Xavier Dolan avait d'ailleurs dit que c'était le film qu'il aurait aimé voir à 17 ans. Bah moi, Été 85, j'aurais aussi voulu le voir à 17 ans (sourire).  

L'histoire d'amour est universelle... et tend vers ce postulat selon lequel nous sommes davantage amoureux de l'idée qu'on se fait d'une personne que de la personne elle-même. Souscrivez-vous à ça ?  
François Ozon :
Je pense que dans toute histoire d'amour, il y a une part d'idéalisation. C'est ainsi que se fait la cristallisation amoureuse. On voit l'autre tel qu'on le rêve plus que tel qu'il est. Alors ça, c'est peut-être la passion, le coup de foudre. Le vrai amour, c'est quand on découvre que l'autre n'est pas comme on l'avait rêvé et qu'on continue de rester avec lui.

Que vous évoque plus l'année 1985 ?
François Ozon :
En fait, mon film s'appelait à la base Été 84 : l'année de mes 16 ans. 84, je trouve ça plus sexy, plus rond, ça faisait une allusion à Un Été 42 de Robert Mulligan. Il se trouve qu'il m'était impossible de ne pas utiliser In Between Days de The Cure. Quand on en a demandé les droits, Robert Smith a dit "J'aurais bien aimé vous les donner mais je ne peux pas parce que mon titre est sorti à l'été 85." Là, je lui ai écrit une longue lettre en lui disant à quel point j'étais fan et en ajoutant que j'étais prêt à changer le titre de mon film pour sa chanson. Il s'appelle donc Été 85 grâce à Robert Smith (sourire).

"Mon film s'appelait à la base Été 84"

"Été 85 - BA"

De cette période, qu'est-ce qui vous manque le plus ?
François Ozon :
Rien. Je n'ai aucune nostalgie. Pour moi, les eighties, c'était des années ingrates parce que c'était la période de mon adolescence. Les gens ont tendance à idéaliser le passé ; moi, pas du tout. Je trouve que c'était quand même l'époque de l'hyper libéralisme, du fric à tout prix, du Sida, des fringues moches… La musique était souvent pas très bonne, hormis certains titres, à l'instar de certains que j'utilise dans mon film... C'est marrant… Mes jeunes acteurs, qui n'ont pas vécu les années 80, les regardaient comme nous regardions les années 60, avec l'impression que c'était sexy. Benjamin Voisin et Félix Lefebvre ont d'ailleurs tenu à garder leurs costumes à la fin du tournage alors que je les trouve atroces (rires).

Quand Alex écrit sur David, il lâche : "Quand j'étais avec lui, ça ne me suffisait pas non plus". Et vous, qu'est-ce qui ne vous suffit jamais ?
François Ozon :
Faire des films (rires). J'adore les fabriquer, travailler avec les acteurs, raconter des histoires. J'en ai encore envie. Ce goût pour le changement de genre vient de ma cinéphilie. Je suis ouvert, et non pas focalisé sur une seule forme de cinéma. J'aime cet art dans sa diversité, du drame à la comédie, de Bergman aux teen-movies. Les choses ne sont pas incompatibles. Alors oui, ça peut me jouer des tours, certains disent que je suis trop versatile. Si je ne vais pas dans des territoires différents, j'ai peur de me répéter même si certains de mes motifs reviennent toujours, en s'adaptant toutefois au récit. Je fais des films pour rencontrer l'autre et le public, pas pour un clan ou une élite. Je n'ai pas honte de faire des films populaires.

"La découverte de l'amour était liée à la mort"

Comme dans Dans la maison, vous célébrez le pouvoir des mots. Qu'est-ce qui vous libère le plus : les mots ou les images ?
François Ozon : Les images ! Ce qui m'intéresse, c'est parler de l'art comme d'un outil de résilience. J'aurais pu rester spectateur toute ma vie mais j'ai eu envie d'être celui qui raconte par les images.

Le personnage principal vit des premières fois fortes. Et c'est aussi votre cas puisque vous parlez de la réalisation d'Été 85 comme d'un premier film…
François Ozon :
Oui… C'est un sujet de premier film. Je n'étais pas capable de le faire à l'époque car sûrement trop proche des personnages. Mais j'ai en tout cas essayé d'avoir ici la naïveté du premier film, de garder l'innocence et le premier degré d'Alex. Je ne voulais pas avoir peur d'un certain sentimentalisme sachant que mon héros est super romantique.

"La seule chose qui compte, c'est d'échapper, d'une manière ou d'une autre, à son histoire". C'est une des répliques fortes. Vous le pensez ?
François Ozon :
Il faut échapper à ce qui nous détermine, aussi bien dans notre famille, que dans la société. L'important est de trouver sa place, son chemin, et d'échapper à ce qui nous prédestine. Quand j'ai trouvé ma place derrière une caméra, j'ai eu mon équilibre.   

De quoi avez-vous eu du mal à vous détacher ?
François Ozon :
Travailler dans le cinéma, c'est presque miraculeux. Evidemment, j'ai baigné dans un milieu culturel grâce à mes parents qui lisaient, qui allaient au ciné… Mais devenir réal, je n'y étais pas prédestiné. Réussir sur ce terrain, ça a été important. Et dans ma vie privée aussi : réussir à devenir qui je suis. J'ai découvert la sexualité au moment où plein de monde mourrait autour de moi. Avoir échappé au Sida, ça a été miraculeux pour plein de gens de ma génération. La découverte de l'amour était liée à la mort avec ce fléau qui nous est tombé sur la tête. Christophe Honoré et Robin Campillo sont parvenus, après 25-30 sans de parler de cette période, à livrer deux beaux films (Plaire, aimer et courir vite et 120 battements par minute, ndlr). J'ai des idées sur ce sujet mais il faut trouver le bon angle. J'aimerais en faire une comédie, bien que ce ne soit pas chose simple.   

Que diriez-vous  à l'ado de 17 ans que vous étiez à l'époque ?
François Ozon :
Ce que dit le film… Il faut se préparer parce que les relations amoureuses ne sont pas ce qu'on nous a appris dans les contes de fées, que ça sera compliqué mais possible.