Zabou Breitman : "RBG a tenté de mettre fin à l'absurdité des frontières entre les genres"

Deuxième femme de l'histoire américaine à siéger au sein de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg est mort à 87 ans. Le documentaire RBG retrace la vie exceptionnelle de cette juriste devenue phénomène culturel qui avait fait de l'égalité des sexes son combat. Zabou Breitman prête sa voix à l'héroïne de ce film, celle de tant d'Américaines... L'actrice et réalisatrice nous parle de son admiration pour cette icône qui se bat pour les droits des femmes, mais aussi de son combat pour la parité et de sa vision d'une société égalitaire. Rencontre.

Zabou Breitman : "RBG a tenté de mettre fin à l'absurdité des frontières entre les genres"
©  Photo 2017 - Carole Bethuel / LES FILMS DU KIOSQUE / CANAL +

Zabou Breitman a fait de la parité son cheval de bataille. L'actrice de 60 ans ans, consciente du chemin qu'il reste à parcourir dans la lutte pour l'égalité, a choisi de promouvoir le travail de Ruth Bader Ginsburg, iconique juge à la cour suprême américaine, qui a participé à la lutte contre la discrimination des genres. La comédienne prête sa voix à la magistrate décédée vendredi 18 septembre 2020, à l'âge de 87 ans des suites d'un cancer du pancréas dans sa maison de Washington. de 85 ans, dans le documentaire RBG,
Réalisé par Julie Cohen et Betsy West, le film retrace le parcours de cette femme étonnante de poigne et de dignité, depuis ses études à l'université de Cornell, alors qu'elle faisait partie des rares étudiantes appartenant à la gent féminine, jusqu'à son travail de juge dissidente à la Cour suprême (où elle a choisi de rempiler pour cinq ans, selon CNN), en passant par son mariage touchant avec son époux Marty. La femme de loi se confie sans fard, face caméra, et nous transporte dans sa vie quotidienne. On l'observe au côté de sa petite-fille qui reprend le flambeau en étudiant le droit à Harvard, à ses entraînements de gym, à l'opéra, qu'elle affectionne particulièrement, ou encore lors des conférences qu'elle donne dans les universités américaines.

Cette femme de loi, ennemie de Donald Trump, restera un emblème de persévérance d'honorabilité et une icône Pop. Rencontre avec Zabou Breitman, qui a doublé la voix de Notorious RBG, dans ce documentaire inspirant.

Le Journal des Femmes : Pourquoi avoir accepté de prêter votre voix pour le film RBG ?
Zabou Breitman :
Je me aperçue que RBG était célébrissime aux Etats-Unis, mais inconnue en France. Ma fille habite à New York depuis 7 ans et lorsque je lui ai parlé de ma participation au documentaire sur RBG, c'est comme si je lui avais dit que j'avais tourné avec Scorsese. Elle était très fière. Je me suis dit qu'il était important de la faire connaître, car son travail dépasse les frontières. Il était important de soutenir ce film, non seulement pour ce qu'il raconte sur le fond, mais aussi parce qu'il est beau et bien fait. Il mélange la grande histoire et la petite histoire, celle de cette femme très heureuse dans son couple car elle a trouvé un homme merveilleux, qui n'a pas besoin, comme elle le dit, de "poser ses pieds sur la nuque de la femme", à une époque où l'homme était considéré comme l'unique pourvoyeur de la famille.

Certains hommes prenaient part à la bataille pour l'égalité hommes-femmes, à l'époque...
Oui, c'étaient comme les résistants. Ce n'est pas parce que je ne suis pas noire que je ne vais pas défendre cette communauté, ce n'est pas parce que je ne suis pas une femme battue que je ne vais pas les soutenir. La morale se situe ailleurs. Il faut des hommes pour défendre les femmes et des femmes pour défendre les hommes, comme pour le cas de ce père de famille veuf que RBG avait défendu afin qu'il ait accès aux allocations familiales. Avant, celles-ci étaient réservées aux mères. RBG se bat pour la justice et tente de mettre fin à l'absurdité des frontières entre les genres. Elle estime que la femme est un être humain à part entière, et pas juste une épouse à qui l'on donne de l'argent de poche, comme c'était le cas à l'époque. Elle veut arriver à faire des lois, à agir, et non pas seulement parler, même si éveiller les consciences par la parole reste important. Cette dame est notre alliée. 

Son époux Marty Ginsburg a été un grand soutien. Il a relégué sa propre carrière au second plan, en faveur de celle de sa femme, il faisait la cuisine... A-t-il été l'architecte de la réussite de RBG ? 
Certainement. On adore Marty ! Il n'a aucun problème à être "dans l'ombre" de RBG. Il a épaulé son épouse et l'a même menée à la réussite, en commençant par dire : "Elle a une mission à accomplir, plus importante que la mienne." Nous n'avons pas tous les mêmes destins. Il s'est donc battu, notamment pour qu'elle soit nommée à la Cour suprême. Le documentaire est génial, car il montre cet aspect. Le moment où Marty meurt (il succombe à un cancer, le 27 juin 2010, NDLR) est d'ailleurs un passage très dur. 

Que pensez-vous de l'écart salarial entre les hommes et les femmes ?
Ces différences de salaires sont monstrueuses. Lorsque j'ai présenté la cérémonie des Molières cette année, j'ai été moins payée que les hommes à ma place. Ce n'est pas normal. On se demande pourquoi. On effectue pourtant le même travail, avec parfois des qualifications supérieures ou des diplômes supplémentaires. 

Diriez-vous que vous êtes féministe ?
Je ne me suis jamais considérée comme féministe parce que j'avais un père et une mère féministes, donc cela allait de soi. J'ai été élevée avec la même littérature qu'un garçon et qu'une fille. J'ai lu la comtesse de Ségur comme Alexandre Dumas, en passant par la science-fiction et le fantastique que ne lisaient jamais les copines de ma génération. 

Comment peut-on impacter, à l’échelle individuelle, la bataille pour l'égalité ?
Dans le quotidien, dans les petites choses, dans une didascalie cachée dans un scénario, en ce qui me concerne. J'ai toujours fait attention à ces détails, en tant qu'actrice. Parfois, je me disais : "Là, je ne peux pas dire ça, je ne peux pas jouer ça." Lorsque j'ai joué dans Paris etc, on m'a demandée : "Mais pourquoi y a-t-il 5 femmes à l'affiche ?". On aurait pu avoir un casting de cinq hommes, là, personne n'aurait posé la question. En tant que réalisatrice, je ne veux pas me forcer à écrire des rôles pour les femmes uniquement parce qu'elles n'en ont pas. Ce sont des choix tacites et artistiques, mais pas volontaristes. 

Transmettez-vous votre vision d'une société paritaire à vos enfants ?
Ma fille de 27 ans travaille dans le recrutement, dans une start-up, à New York. Elle a changé la "couleur" de l'entreprise, en commençant par engager une femme et un homme, en tant que recruteurs, car il a été prouvé statistiquement que la gent masculine, engage... des hommes. Je suis fière d'elle. Depuis le #MeToo, on se met à discuter de ces sujets, on parle entre femmes. Ce n'est plus seulement une discussion mère/fille. C'est vraiment beau. Son frère, mon fils, est également ultra vigilant sur les questions de genre et n'hésite pas à prendre la parole lorsqu'il relève quelque chose de misogyne. La génération est, petit à petit, en train d'intégrer ce concept fondamental d'égalité.

Dans le documentaire, RBG explique qu'elle avait l'impression d'être une maîtresse de maternelle, durant ses plaidoyers d'avocate, lorsqu'elle expliquait aux juges que la discrimination des genres était bien réelle. Avez-vous le sentiment qu'à notre époque, il est toujours nécessaire éduquer la société sur le B.A.BA de l'égalité hommes-femmes ?
Totalement. Récemment, j'ai repris un réalisateur qui avait écrit quelque chose d'assez tendancieux. Il me disait : "Mais c'est drôle." J'ai dû lui expliquer la différence entre une blague drôle et une maladresse misogyne. Je lui ai lancé : "Pourquoi tu dis une 'vieille pute' dans la description?' C'est insultant, violent et dur. Pourquoi ne dis-tu pas à la place : 'On sent que la femme d'âge mûr est extrêmement prostituée?'". C'est drôle, mais ce n'est pas un jugement de valeur, la différence réside ici. 

Quels sont vos projets ? 
J'ai créé ma compagnie de théâtre, Cabotine. Je tenais à ce que cela soit un nom féminin. Je produis ma première pièce, l'idée étant de faire travailler essentiellement des jeunes de moins de 30 ans. C'est une adaptation d'After The End de Dennis Kelly. Il s'agit d'un homme et une femme, enfermés dans un bunker après une bombe atomique. Ce que cette pièce raconte sur l'enfermement est très intéressant. Elle sera créée à Antibes, en octobre. J'ai commencé également une tournée, le 6 octobre, avec la pièce la Logiquimperturbabledufou, d'ailleurs, l'équipe est très paritaire. Il y a un régisseur plateau, une régisseuse plateau, deux acteurs, deux actrices, etc. Cela tombe bien ! 

Découvrez le documentaire en DVD et VOD 

Voici la bande-annonce :