Broyée par un pervers narcissique, Charline raconte l'amour en enfer...
Charline, 34 ans aujourd'hui, nous raconte deux ans de vie de couple toxique avec un pervers narcissique, et autant de temps à se reconstruire...

Les pervers narcissiques, ou les "PN" pour les intimes ou les flemmards, sont aujourd'hui partout, à la télé, en librairie et dans de nombreux articles qui leur épluchent le portrait. A force de tomber sur ces termes et sur des cons (disons-le), nous finissons par penser que le moindre comportement déplaisant ou irrespectueux de la part d'un homme fait de lui un pervers narcissique. En perte de crédibilité, le PN ? C'est bien dommage, parce qu'au pays des amalgames, le pervers narcissique est une réalité, et notamment au sein du couple.
Amoureux de son image, il séduit sa proie en jouant la perfection puis une fois la relation en place, il dévalorise sa ou son partenaire pour se valoriser lui-même – en vain, puisqu'on ne valorise pas une façade.
Au quotidien, il se nourrit du mal qu'il peut faire mais sait tout autant faire le bien, une façon de garder l'emprise sur sa ou son partenaire qui devient dépendant.e.
Nous avons rencontré Charline, 34 ans, profession kinésithérapeute. Une fille bien sous tous rapports, gentille mais pas bonne poire, intelligente mais pas pédante, bref une fille avec qui on a envie de discuter et qui nous a scotchées quand elle nous a raconté les deux ans d'enfer qu'elle a vécus avec J. et les mois qu'il lui a fallu pour sortir la tête de l'eau. Voix qui tremble et yeux qui brillent, elle témoigne....
"Il a un déclic, je suis la femme de sa vie, c'est moi et personne d'autre"
C'était il y a quatre ans. J'avais 30 ans. Je tombe sur J. lors d'un pot de boulot à l'hôpital : des kinés, des médecins et des infirmières boivent des verres de champagne et mangent de la galette des rois. On fête la nouvelle année. J. est lui aussi kiné, il est de retour depuis peu dans la région après avoir tenté de s'épanouir à Paris. On commence à discuter et le courant passe extrêmement bien. C'est très fluide, presque un peu magique. Je me dis d'emblée qu'on ne rencontre pas tous les jours des personnes avec qui c'est aussi évident. Je ne pense même pas à l'amour, même si je suis célibataire. Je suis simplement surprise par ce contact.
Quelques jours plus tard, je reçois un mail. Il a trouvé mes coordonnées, facile dans le milieu. A partir de là démarre une longue phase de séduction, trois mois en tout. On couche ensemble mais on n'est pas vraiment ensemble. On s'écrit des centaines de SMS, c'est du continu, c'est agréable. Si nous ne sommes pas un couple, pas encore, c'est parce qu'il n'a pas oublié son ex, une histoire de dix ans. Mais du jour au lendemain, il m'appelle, il a un déclic, je suis la femme de sa vie, c'est moi et personne d'autre.
Les premières semaines sont idylliques. J. est tout simplement parfait. Il est extrêmement présent. Nous profitons du retour du printemps. Il vient me chercher au cabinet tous les soirs, on prend des verres avec des collègues ou bien on dîne au restaurant. On part plusieurs fois en week-end aussi, il réserve tout, s'occupe de tout. Je le présente à mes parents durant l'été, ils sont séduits, c'est le gendre idéal. Parfois, j'ai envie de me pincer, je suis en train de rêver, et puis je reviens à la raison : moi aussi, j'ai rencontré l'homme de ma vie, tout simplement. Il est l'homme que j'espérais, il répond à tous mes critères, en même temps c'est le principe. Il est grand, responsable, plus âgé, installé, mature, à l'aise financièrement. Meilleur tableau.
"Il me fait culpabiliser d'être heureuse"
Après l'été, et peut-être même pendant l'été si je veux tout à fait être honnête, cette image de lui s'effrite. Il n'est pas si parfait. J'entends de la part d'une amie kiné que J. a une sale réputation dans le milieu mais que depuis que je le fréquente, les gens ont un avis plus positif le concernant. Il quitte aussi son appartement pour aller vivre chez sa mère qui est malade. C'est provisoire, me dit-il. Mais le provisoire durera. Je commence également à lui trouver certains défauts, il est parfois à la bourre, parfois proche de ses sous. Pour autant, je me dis que c'est normal, que moi aussi je relâche peut-être un peu la pression. On entre dans un quotidien, tout ne sera jamais parfait, ça fait partie du processus amoureux.
Seulement, un jour, une première crise. Nous sommes dans un pub avec des amis, il ne décoche pas un mot, pas un sourire. Aux autres, si. A moi, non. Plusieurs fois, je lui demande discrètement ce qu'il se passe, pourquoi ce silence, mais rien n'y fait, il m'ignore. Vraiment. Il ne dit absolument rien, c'est terriblement vicieux et violent. Je suis tracassée toute la soirée, à me bouffer les ongles dans la pénombre, abasourdie par la musique et le rire des autres, alors qu'au fond de moi, quelque chose se casse, mais quoi ? Je me demande ce que j'ai fait, prête à tout réparer. A minuit, il me raccompagne chez moi, toujours sans moufeter. Je descends de sa voiture, il repart, je rentre dans mon appartement et je suis dévastée. Impossible de comprendre. Je suis inquiète et je ne dors pas de la nuit. Je surveille mon téléphone qui ne sonne pas.
Il m'appelle le lendemain en fin de journée. A ce moment-là, il m'explique et il s'excuse. On a croisé mon ex, il s'est senti jaloux, mais il regrette, passons à autre chose. Je passe alors à autre chose, persuadée que c'est là un évènement ponctuel, qu'il a un caractère jaloux, que je le découvre et que je suis désormais prévenue. Ensuite, pendant trois mois, tout va très bien, jusqu'à ce jour où je signe un nouveau bail pour un nouveau cabinet. J'ai envie de fêter ça avec lui, je l'appelle pour lui dire que c'est bon, c'est fait, mais il est hyper distant au téléphone, me dit qu'il passera vers 20h puis raccroche.
Il débarque finalement à 23h en faisant la tronche, en me disant que lui, il n'évoluera jamais dans son boulot, et autres plaintes dont je ne comprends même pas le sens. Il rapporte tout à lui, il me gâche mon plaisir et moi, je culpabilise. Je culpabilise d'avancer et d'être heureuse. Je n'ai jamais pu apprécier mon nouveau cabinet comme je l'aurais voulu, quelque chose était tâché.
"J'ai fini par croire que je n'étais pas digne d'être aimée, et que c'était une chance, ma chance, que d'être aimée par lui"
Après ça, les crises s'enchaînent, les temps de respiration s'écourtent. Un soir, je m'en souviendrai toujours, il me refait le coup du silence. On s'endort comme ça, enfin je ne dors pas, perturbée par son mutisme. Vers quatre heures du matin, il se réveille, et il se met à hurler. Il hurle que je suis conne, immature, une pauvre fille. C'est insensé, je panique face à une telle violence, je me mets à pleurer, je suis démunie et je suis avec lui, or je voudrais parler à une amie mais je ne peux pas. Il se rendort tranquillement, parce que c'est ça son procédé, c'est de me faire du mal et de s'endormir. En fait, à chaque fois, son inconscient faisait un truc machiavélique. Une fois qu'il m'avait bien fait souffrir, il se mettait en mode veille pour que je ne puisse plus l'atteindre. Et au réveil, il partait sans rien dire. Quand je parvenais à ouvrir un semblant de conversation, quand je lui demandais pourquoi ces mots la veille, il me balançait que j'étais trop émotive. Il minimisait tout. Comme si j'étais folle. Parfois, j'ai douté d'avoir vécu ces horribles moments, d'autres je me suis demandé ce que j'avais fait, ou changé, pour en arriver là. Où était passé J., l'homme de ma vie ? Je me sentais coincée dans une vie que je ne voulais pas mais je me promettais de faire des efforts pour que tout rentre dans l'ordre, pour retrouver nos débuts et l'aisance avec laquelle notre histoire a démarré.
Mais le quotidien est petit à petit devenu un enfer. Financièrement, je gagnais moins que lui, et pourtant, il attendait de moi que je paie tout. Noël, anniversaire, Saint-Valentin, je recevais pour cadeau un livre de poche, alors que je prenais un temps fou à trouver le cadeau idoine. Il arrivait souvent chez moi à 1h du matin, alors qu'on avait rendez-vous à 20h pour le dîner. Combien de fois j'ai bu seule la bouteille que j'avais prévue pour deux ? Combien de fois j'ai fait réchauffer le plat que j'avais cuisiné en me disant que ça le ferait arriver ?
Quand j'osais lui dire que j'étais déçue, que je n'appréciais pas ses retards, il me hurlait dessus. Il me disait "je ne viens pas pour me faire engueuler, j'ai d'autres choses à faire". L'humiliation était constante, il me faisait me sentir nulle, inintéressante. J'étais la fille qui n'en valait pas la peine et je devais m'estimer heureuse qu'il me consacre ne serait-ce qu'une heure par jour. Le problème, c'est qu'on finit par y croire.
Je parlais régulièrement avec quelques amis, mais je finissais par me sentir chiante avec mes "petits" problèmes de couple. Ou alors j'entendais "pars, quitte-le", mais j'en étais incapable. Parce qu'à force, je finissais par croire que je n'étais pas digne d'être aimée, et que c'était une chance, ma chance, que d'être aimée par lui. Alors il me fallait rester et être parfaite pour goûter à mon bonheur, ce ridicule morceau d'amour rassis dont je dépendais comme on dépend d'une gorgée d'eau dans le désert. C'est comme ça que l'on devient dépendant affectif. On se sent seule dans son malheur, pas toujours bien comprise, et on attend de l'autre qu'il nous sauve alors qu'il est précisément celui qui nous met la tête sous l'eau et garde la main bien appuyée.
"Il pouvait disparaitre pendant des jours, me laissant seule avec le silence"
Parfois, aussi, je n'avais plus de nouvelles de lui pendant deux ou trois jours, comme lors de mon déménagement. Il devait m'aider à transporter des gros meubles. La veille, nous sommes chez sa mère, et au coucher je lui dis que nous devons d'abord passer chercher des cartons chez une copine pour faire glisser l'armoire et le gros électroménager dans mon nouvel appartement. Il s'énerve d'un coup d'un seul, à me dire que mon parquet n'est pas en sucre. C'en est trop, je trouve la force de partir. Le lendemain, il n'est jamais venu m'aider. Silence radio pendant plus de 48h, jusqu'à ce qu'il me rappelle pour me dire "je suis triste". Sauf que moi je suis au boulot, un patient sur la table. Je réponds que je suis triste aussi - parce que je l'étais terriblement - et que je préfère qu'on se rappelle dans la soirée. Il ne l'a pas fait, ne m'a pas répondu. Quand enfin il a daigné se manifester, deux jours plus tard encore, c'était pour me dire qu'il viendrait à 18h. Il est arrivé à une heure du matin, comme d'habitude.
Ses crises étaient toutes irrationnelles. En vérité, il n'y a aucune explication à trouver, et les pervers narcissiques s'attaquent à des personnes logiques, pour justement garder le pouvoir. Car s'il y a aucune explication, les personnes logiques en trouvent. Moi, par la force des choses, j'en trouvais : une mère malade, un père violent, une enfance difficile, pas habitué à parler, il faut que je l'aide à communiquer, que je l'ouvre à sa part sensible, et ainsi de suite. Je lui cherchais des excuses sans arrêt pour tenir, mais finalement, ce qui me faisait tenir, c'était les autres phases, ses phases gentilles.
Car le reste du temps, il était gentil, posé, intelligent, même s'il restait un peu froid, pas très attentif à moi. Mais ça restait simple, parfois. Parfois je me disais que tout allait bien. Au moindre mot sympa, au moindre geste agréable, j'y croyais. Mais c'était un piège. Si les premiers temps, j'ai pu mettre tout ça sur le compte d'un caractère colérique ou d'un amour déséquilibré – il m'aime moins que je ne l'aime, je pensais – avec lequel composer, j'ai fini par comprendre que c'était de la manipulation. J'étais armée pour faire preuve de lucidité mais pas armée pour m'enfuir. C'est ça, le plus gros souci. C'est de voir la clé mais d'avoir les mains attachées.
"Il m'a sucée jusqu'au sang, il m'a tout pris, mes contacts professionnels, mon argent, mon âme"
Il a fini par me quitter brutalement. Mais cette rupture est loin d'être la fin, quelque part. C'était en pleine nuit, comme souvent. Il me réveille et me dit : je ne suis plus amoureux de toi. Il le dit de plus en plus fort, et le répète, le répète encore, c'est comme une vieille chanson obsédante, ça vous prend, ça vous fait mal, vous vous bouchez les oreilles. Il est parti comme ça. Je ne l'ai jamais revu.
Après cet épisode de rupture, j'ai été incapable de dormir. Je ne mangeais plus. J'ai été voir mon médecin traitant, et je lui ai dit, comme ça, spontanément : j'ai été ensorcelée, j'ai besoin d'aide, du sort inverse. Mon médecin m'a écoutée et m'a dirigée vers une psychologue et victimologue, une femme qui m'a tout expliqué, une femme que je ne croyais pas, parce que je continuais de défendre J.
La vérité, c'est qu'il m'a sucée jusqu'au sang. Il m'a tout pris. Mes contacts professionnels, mon argent, mon âme, mon temps, même un tas de matos que j'avais stocké chez lui pour mon nouveau cabinet et que je n'ai jamais pu récupérer. Il m'a vidée et il est parti parce qu'il n'avait plus rien à prendre. Il ne m'aimait pas parce qu'il n'aimait personne. Il prenait son pied dans la souffrance de l'autre. Je ne crois pas que c'était conscient. Je n'en sais rien. C'était un prédateur.
J'ai mis six mois à vraiment réaliser et à croire ma psy, et j'ai mis deux ans et demi à m'en remettre, à ne pas rechuter. Mais je vis avec la peur que ça recommence. Dès que je rencontre un homme, j'ai la trouille, je l'analyse sous toutes les coutures, je panique dès que le silence s'installe entre nous ou dès que le ton monte. Le souci, c'est qu'au lieu de me demander si la personne me plait, si nos valeurs sont communes, si une histoire jolie est envisageable, je me demande seulement si c'est un manipulateur. S'il ne l'est pas, du moins n'en a pas l'air, alors j'ouvre tout, le contrat est rempli, on peut y aller. Je tombe sur des hommes qui ne me conviennent pas toujours, mais c'est peut-être ce que je crois mériter, aussi ce que je crois sécurisant parce que c'est loin d'être le pire. Le pire, je l'ai connu.