Louise, 19 ans, Sugar Baby : "Je vends mon corps à des hommes plus âgés"

On les appelle les sugar babies : pour payer leurs études, ces jeunes femmes louent leur corps, leur temps et leur présence à des hommes âgés et aisés. Louise est l'une d'entre elles. Elle s'est confiée à nous. Un témoignage qui met en lumière un phénomène pour le moins inquiétant.

Louise, 19 ans, Sugar Baby : "Je vends mon corps à des hommes plus âgés"
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J'ai découvert le concept de sugar baby il y a quelques mois. J'ai décidé de me renseigner. J'avais besoin d'argent. J'ai lu beaucoup d'articles. La plupart dépeint une image très négative des sugar babies et des sugar daddies et tire la sonnette d'alarme face à un comportement jugé immoral et alarmant. J'ai préféré me tourner vers des témoignages, plus authentiques. Bien sûr, les témoignages ne sont pas toujours très roses, mais le point de vue des femmes sugar babies m'a éclairée et rassurée : on peut tomber sur un homme respectueux, garder le contrôle, ne pas se perdre. Alors je me suis inscrite sur plusieurs sites de rencontres dédiés.

"Je voulais gagner de l'argent, mais aussi acquérir de l'expérience amoureuse et sexuelle"

J'ai commencé à discuter avec des hommes. Certains ne m'inspiraient pas. Une approche telle que "Tu aimes la sodomie ?" me choquait. J'en remettais en question ma démarche. Néanmoins, je n'ai pas stoppé mes recherches. Je suis étudiante par correspondance avec le CNED. Mes études coûtent cher à mes parents, qui ne roulent pas sur l'or. Je voulais gagner de l'argent mais aussi acquérir de l'expérience amoureuse et sexuelle. J'ai conscience qu'il ne s'agit pas là du meilleur chemin à emprunter, mais je crois que je cherchais une autre bonne raison de le faire en plus de l'argent.

F., un homme de 38 ans, s'est démarqué. Il m'a écrit sans faute d'orthographe, il était poli et agréable à lire, et m'a proposé de poursuivre nos échanges par mail. Pendant une semaine, nous avons discuté de tout et de rien par écrit. Nous nous racontions nos vies, ce que nous aimions faire de nos journées. Nous avons parlé d'argent. J'avais peur de me faire avoir mais je connaissais les tarifs de base. F. a visé dans le mille et ça m'a confortée. Il ne se moquait pas de moi alors même que je débutais. Nous avons également discuté de nos limites, notamment sexuelles, et des sujets que je n'aimais pas aborder. Je ne voulais pas que l'on se rencontre sans établir un cadre.

F. est célibataire, sans enfant. Il savait me mettre en confiance, si bien que nous avons fini par décider d'un rendez-vous. Avant le jour J, le programme était établi : nous dînerions puis nous irions probablement chez lui.

"J'ai dit à mes parents que j'allais chez une amie"

Avant ce premier rendez-vous, j'étais terriblement nerveuse. J'ai dit à mes parents que je me rendais chez une amie. J'ai pris le train, je n'étais pas très en forme. Néanmoins, mon stress n'était pas aussi envahissant qu'il a pu l'être par le passé. Souvent, avant des rencards amoureux avec des mecs de mon âge, rencontrés sur des applications disons plus traditionnelles, j'étais prise de panique et j'annulais avant même de grimper dans un wagon. A une heure de découvrir F. en chair et en os, je me suis étonnée. Je n'étais pas tentée de faire demi-tour.

Lorsque je l'ai vu pour la première fois, cela faisait déjà quarante minutes que je l'attendais. Il était en retard et ne cessait de m'envoyer des SMS pour me tenir au courant. Il m'a même dit de commander à boire pour patienter. Je n'ai pris que de l'eau. Je craignais l'arnaque et je n'avais pas d'argent pour me payer le moindre centilitre de vin. Il a fini par entrer dans le restaurant, fidèle à ses photos. Je ne l'ai pas trouvé charmant car ce n'est pas mon type d'homme. Mais il était poli, avenant, prévenant.

"Au lit, F. ne faisait pas passer son plaisir avant le mien, il s'occupait de moi"

Je n'étais pas très détendue lors de ce dîner. Les tables du restaurant étaient collées les unes aux autres. Nous étions très proches de nos voisins et je craignais continuellement que F. évoque l'objet de notre rencontre, notre contrat, notre futur. La serveuse nous regardait également d'un drôle d'œil, je pense qu'elle a compris qu'il n'était ni mon père, ni un oncle. La différence d'âge la perturbait.

Le restaurant était chic. C'est lui qui a payé. Nous savions tous les deux que c'était le deal. Je n'ai pas vu l'addition et me suis retirée aux toilettes le temps qu'il aille régler.

On a donc décidé d'aller chez lui, plus pratique que d'aller à l'hôtel. Je savais que nous allions faire l'amour. J'ai déjà eu des rapports sexuels avec quelqu'un de mon âge.

Nous avons d'abord promené son chien puis nous avons regardé la télé en prenant un verre. J'ai trouvé ça chouette. Tous ces petits riens m'ont aidée à me détendre. J'avais peur d'être nulle au lit, même si oui, c'est la différence d'expérience entre lui et moi qui m'intéressait et m'attirait. Durant le sexe, F. était à la fois doux et brut. C'est le rapport sexuel le plus agréable que j'ai connu, même si j'avais du mal à suivre. Je me laissais totalement guider. F. ne faisait pas passer son plaisir avant le mien, il s'occupait de moi.

"Je culpabilise terriblement quand je pense à mes parents"

Dans la nuit, je n'étais pas bien. Je ne savais plus ce que je faisais. J'ai beaucoup pleuré. Silencieusement. J'ai pensé à m'enfuir, à tout plaquer, mais je ne savais pas où j'étais. Puis je me répétais que je n'avais pas fait tout ça pour rien. Il me fallait continuer, continuer jusqu'à obtenir mon argent. Surtout que le dentiste venait de me faire un devis de 800 euros pour une couronne et que cet argent, mes parents ne l'avaient pas. F. aurait dû me payer 200 euros et il m'a payé 350 euros parce que je lui ai révélé le montant prononcé par le dentiste.

Depuis, j'ai revu F. trois fois seulement. Lors du deuxième rendez-vous, nous nous sommes simplement baladés à Paris, nous avons marché et visité des galeries d'art. Je suis rentrée chez moi. Pas de sexe. Et lors du troisième du rendez-vous, nous avons choisi l'hôtel. Je suis restée la nuit.

Pour l'instant, je vis les choses bien. Enfin je crois. Je culpabilise concernant mes parents. Le soir où j'ai pleuré chez F., je pensais à eux. Ils s'imaginaient que je passais une soirée géniale avec une copine. En réalité, j'étais perdue. Repenser à cet instant me fait mal au cœur. Mais le lendemain matin, F. était mignon. J'ai relativisé tout de suite quand il m'a servi le petit déjeuner.

"J'ai conscience de vendre mon corps"

Une seule amie est au courant. Je l'ai rencontrée sur Facebook il y a quelques mois et nous nous sommes vues une seule fois. On parle tous les jours sur Internet. A elle, je peux lui dire. C'est plus facile de se livrer derrière un écran. Je ne dis rien à mes amies de tous les jours, je crains leurs réactions. Pourtant j'aimerais. J'aimerais me confier, raconter mes envies, mes doutes, mon aventure, mon étonnante démarche, mais je sais combien c'est mal vu. Je sais ce que l'on va me dire. Je sais déjà les remontrances, les jugements, les mines gênées ou le ton récriminatoire.

J'ai lancé un compte Twitter car j'ai besoin de m'exprimer à ce sujet. C'est une sorte de journal intime public pour que les internautes puissent m'écrire, réagir. Pour l'instant, je n'ai jamais reçu de messages dérangeants. Je n'ai personne avec qui en parler, même si mon amie belge me soutient. J'ai tellement lu et entendu que les relations sugar baby – sugar daddy n'étaient autres que de la prostitution que forcément, je ne me sens pas toujours très bien dans mes baskets. Je ne dis pas que c'est bien, que j'ai raison de le faire. Je ne suis pas une prostituée, je ne me perçois pas comme telle, pour la simple et bonne raison que nous ne faisons pas que coucher. Je suis là aussi pour lui parler, lui tenir compagnie. On s'appelle souvent. Et en même temps, je ne me voile pas la face. Je comprends que le terme de prostitution fasse sens ici, car je vends mon corps.

 "J'aurais aimé grandir dans un milieu aisé"

Je ne montre pas cet argent à mes parents, je le cache dans une enveloppe, que je planque dans l'armoire. Je garde un peu de monnaie sur moi pour m'offrir quelques plaisirs et j'épargne le reste. Et pour ne pas que mes parents ne se doutent de quelque chose quand j'arborerai ma couronne, je leur dirais que le dentiste m'a fait un prix. Ce genre de discours me stresse, je n'aime pas mentir mais je m'en sens contrainte.

Ce qui est certain, c'est que j'aurais aimé naître et grandir dans un milieu aisé pour ne pas en arriver là. Mes études sont un poids pour mes parents qui veulent le meilleur pour moi. Je suis perdue dans mes études, j'ai essuyé plusieurs échecs. Peut-être qu'avec davantage d'argent à la maison, j'aurais moins eu de pression à réussir. Cette pression me paralyse. Aujourd'hui, je m'en sors avec le CNED mais ce n'est pas simple de travailler à distance et d'être seule toute la journée. J'essaie de rejoindre des copines l'après-midi à la bibliothèque, quand elles finissent tôt les cours  à la fac.

"Je pense qu'on peut devenir accro à l'argent"

Je ne tomberai pas amoureuse de F. La question s'est posée avant même de m'inscrire : et si finalement je trouvais un sugar daddy qui me plaît ? Et si je finissais par en souffrir ? Mais F. n'est pas mon genre d'homme. Il n'y a aucun risque. Ce qui m'inquiète davantage, c'est ma vie amoureuse à moi. Je vais bien finir par rencontrer quelqu'un et je ne veux trahir personne. Une décision s'imposera. Bien entendu, l'amour est censé prendre le dessus sur l'argent mais je reconnais que l'argent, on s'y attache. Je vais bientôt terminer mes études et j'envisage de faire une pause d'un an avant d'entrer sur le marché du travail. Je pourrais ainsi profiter de l'argent que j'aurais gagné, m'offrir des vêtements dans lesquels je me trouve jolie. Et en gagner encore. Je dirai à mes parents que j'ai décroché un job, ce qui permettra de justifier mes dépenses.

Je pense qu'on peut devenir accro à l'argent. Parce que tout ce que l'on veut, qui nous fait rêver dans les vitrines, devient soudainement accessible. C'est le danger. En gagnant beaucoup d'argent sur une période donnée, on peut perdre le sens des dépenses. Je le sais et je me jure de faire attention, de garder la tête froide.