La lettre d'Harlan Coben dans "Paris Match"

"Je n'ai aucune réponse à offrir, mes chers amis. Je laisse ça aux experts et à ceux qui comprennent mieux que moi le fonctionnement du monde. Je ne propose ni stratégie ni analyse. Nombre de savants et de spécialistes s'en chargeront, et beaucoup mieux. Je ne suis pas non plus d'humeur à écrire une lettre de condoléances. J'ai surtout envie de me rouler en boule et de ne rien faire. Mais ce n'est pas une solution. Nous sommes anéantis. Inutile de prétendre le contraire ou de minimiser notre peine. Nous nous sentons démunis et effrayés. Nous avons le sentiment que le monde s'est cassé, sans espoir d'être jamais réparé. Nous avons le sentiment que nos vies ont changé et qu'elles ne seront plus jamais tout à fait les mêmes.
"NOS VIES ONT CHANGÉ ET NE SERONT PLUS JAMAIS TOUT À FAIT LES MÊMES"
Mais seule cette dernière phrase restera vraie : nos vies ont changé et ne seront plus jamais tout à fait les mêmes. En un sens, je n'ai rien de nouveau à vous dire. J'ai de la peine, comme vous avez de la peine, et il n'y a pas de mot ; les mots sont tellement creux dans ces circonstances. Nous sommes en colère, tristes, désorientés, et nous avons besoin de temps pour faire notre deuil.
Mais ce qui m'a toujours étonné chez vous, mes amis français – ce que le natif du New Jersey que je suis vous a toujours envié et a toujours voulu imiter – c'est votre joie de vivre. Vous ressentez chaque émotion à la puissance dix. Tout chez vous est d'une merveilleuse intensité. La façon dont vous dégustez votre cuisine. Dont vous appréciez votre vin. Vous vivez pleinement votre musique, votre art et votre théâtre, vous vous y jetez à corps perdu. Vous chérissez la grandeur et le rayonnement de votre culture. Vous adorez la beauté que ce monde a à offrir.
"VOUS VIVEZ, RIEZ, AIMEZ AVEC FERVEUR. EN UN MOT, VOUS VIBREZ"
En un mot, vous vibrez. Vous ne vous contentez pas de suivre le mouvement. Vous vibrez. Vous vivez, riez, aimez avec ferveur. La contrepartie, mes chers amis, c'est que vous portez le deuil avec la même intensité. Vous n'y pouvez rien, c'est le prix à payer: quand on vit pleinement, on souffre de même. La tiédeur vous est étrangère. C'est une force, pas une faiblesse. Toute médaille a son revers, il n'y a pas de haut sans bas, le bien n'existerait pas sans le mal… et il n'y aurait pas ces larmes s'il n'y avait votre rire débridé. 
Aujourd'hui nous sommes anéantis. Nos vies ont changé, mais pas nous. Et vous, vous êtes toujours ce peuple passionné, créatif et suprêmement vivant que j'envie et auquel j'aimerais ressembler. Je vais puiser du réconfort dans votre force admirable.
Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je veux juste vous dire que je suis désolé et que je pense à vous.
"
Harlan Coben, le 16 novembre 2015 pour Paris Match.
(Traduction Cécile Arnaud)
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