Etre parents d'un enfant doué

Arielle Adda, vous propose une immersion dans la tête des parents doués.

 Souvent, à l’annonce du chiffre de QI obtenu au test, les parents se sentent écrasés par cette nouvelle à laquelle ils ne s’attendaient pas. On leur avait bien dit à plusieurs reprises que leur enfant devait posséder une intelligence supérieure à la moyenne. Cette dite moyenne étant fixée à 100, ils imaginaient un 115 ou un 120 qui leur semblait tout à fait satisfaisant. Quand ils entendent 140, 145, 150, voire plus encore, au point qu’on pourrait comparer leur enfant aux meilleurs d’une classe d’âge supérieure d’un ou de deux ans, ils sont pris d’un vertige teinté d’effroi, bien loin de la satisfaction orgueilleuse qu’on leur prête quand on évoque ce problème sans rien y connaître.
Tout d’abord, ils se sentent complètement démunis face à une situation qui leur échapperait : cet enfant qui était, il y a peu, encore un tout petit bébé auquel il fallait tout apprendre, se révèle un individu particulier, peut-être impossible à comprendre ou à cerner. Pourtant, ils avaient l’impression de si bien comprendre ses réactions, de les devancer même. C’est dans le portrait qu’en renvoyaient d’autres personnes qu’ils ne le reconnaissaient pas. C’est d’ailleurs une des raisons qui les avaient incités à demander un test de QI, comme on demande un mode d’emploi, qui serait surtout à l’usage de la société. Évidemment, certaines réactions les laissent perplexes, leur intensité émotionnelle est parfois surprenante, mais on s’habitue à un enfant déroutant, d’autant plus qu’il est toujours aussi friand de câlins et qu’alors on retrouve cette entente qui se passe de mots et que rien ne trouble.
En regardant la courbe, dite "normale" de distribution des notes de QI,  on se rend immédiatement compte qu’il y a peu de monde à l’extrémité : il n’est donc pas étonnant que les malentendus s’accumulent.
"Comme j’aimerais me situer dans la moyenne !" soupirent les adultes épuisés par tous ces malentendus qui les écorchent depuis si longtemps sans qu’ils aient toujours su trouver une efficace parade.

Cette incompréhension est si répandue que les parents eux-mêmes en viennent à douter d’eux et de leur instinct. Pourtant, c’est plus que jamais le moment de se fier à cette voix intérieure qui souffle la bonne conduite à tenir. Elle est valable quand il s’agit de soi-même, et elle conserve sa valeur quand il s’agit d’un être si proche, même si on se pense peu objectif, car aveuglé par l’amour parental.
Comprendre signifie ici éviter de dramatiser les réactions émotives paraissant exagérées et peu justifiées, tenir compte d’une sensibilité exacerbée et ne jamais oublier jusqu’où peut entraîner une imagination foisonnante, alimentée par une lucidité impitoyable, avec ses conséquences génératrices d’anxiété ; il ne s’agit pas de laisser un enfant agir à sa guise, insoucieux des lois, sous le prétexte qu’il est capable de démontrer le bien-fondé de son caprice avec des arguments étayés par la logique la plus rigoureuse.
On semble oublier que les parents savent comprendre leur enfant parce qu’ils se retrouvent en lui. Le plus souvent, eux-mêmes ont été des enfants doués, dans un couple qui fonctionne bien les deux partenaires sont à égalité : on ne s’étonnera donc pas si les parents d’un enfant doué restent des adultes doués, simplement, ils se sentent incertains et, comme nombre de personnes douées, ils peuvent avoir le sentiment que les autres savent mieux qu’eux comment se comporter.
A plus forte raison quand il s’agit de spécialistes proférant des paroles irréfutables, puisqu’ils parlent en fonction de leur savoir qu’on ne saurait remettre en question ni même tenter de discuter. Quand ils énoncent un verdict, il a valeur de jugement indiscutable.
Le propre des enfants doués est d’échapper à toute définition trop tranchée : on les reconnait dans les descriptions, à l’exception de quelques détails qui font de chaque individu un être unique, il est toujours complexe de cerner le génie propre à tout enfant doué. Il ne saurait se conformer à un portrait tout fait et c’est, entre autres,  pourquoi sa personnalité est tellement attachante.
L’interprétation de certains caractères risque d’être faussée si elle est ramenée à une "norme" ne correspondant, en réalité,  à personne. L’enfant doué, avec ses sentiments amplifiés, sa recherche de perfection et sa compréhension si profonde de tout événement ne peut rentrer dans un cadre tout fait. En outre, ses caractéristiques suscitent parfois une réaction d’étonnement, de méfiance, voire d’irritation devant un être parfois dérangeant. On a alors la tentation de le charger de défauts qui compenseraient en quelque sorte son indéniable dextérité intellectuelle : personne ne saurait être parfait.
A partir de là, la moindre difficulté, le plus petit retard dans un acquis, sont pointés comme une compensation bien naturelle de ces dons en excès, mais ces fameux spécialistes vont procurer les remèdes nécessaires, parfois onéreux, parfois compliqués, toujours impossibles à dédaigner.
Les parents sont prêts à tout pour le bien et le bonheur de leur enfant, ils finissent par penser, eux aussi, qu’un enfant, même le leur, ne peut posséder tant de dons, une faiblesse a été pointée, il est de leur devoir de s’attacher à la prendre en compte. La négliger serait criminel.
Il est impossible de discuter un verdict tellement sûr, énoncé par des personnes dont l’autorité est incontestable. Dans ces moments d’angoisse, lorsqu’une faiblesse est détectée, on ne songe pas forcément que les particularités des enfants doués ne rentrent dans aucune catégorie, on craint d’entraver le développement de son enfant, de bloquer à jamais  son avenir, on s’affole, on est reconnaissant à ceux qui ont pointé cette faiblesse et, parfois, on a la chance de trouver une association sachant dispenser des conseils appropriés et guider les parents dans la peine.
De surcroît, dans cette atmosphère d’inquiétude, ces symptômes prennent une importance démesurée tant ils tranchent sur l’harmonie générale caractéristique des enfants doués, l’enfant lui-même les vit comme un élément absolument dramatique, d’autant plus qu’il se sent impuissant à les combattre, du moins dans l’instant, mais, sur le moment, l’instant prend une valeur d’éternité, surtout pour un enfant épris de perfection.
Il est plus ardu qu’on ne le croit de se fier à son cœur, à son instinct et même à sa propre logique, le souci de tout faire pour le bonheur de son enfant l’emporte sur tout autre sentiment.
Les enfants doués ont surtout besoin de se sentir compris, en déployant leurs talents ils acquièrent une force qui va les aider à ne pas se laisser écraser par leurs défauts sans les combattre. On les soutient, on les aide, on lutte contre sa propension à s’affoler immédiatement après un "verdict" inquiétant. On n’oublie pas de savourer les trésors de tous ordres dispensés par une intelligence si déliée et une sensibilité si délicate.

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