L’enfant doué, dans ses relations à l’école

Très souvent, des «difficultés de relations» constituent un motif de consultation, sans que l’on songe à un éventuel don intellectuel et pourtant, dans chaque domaine, les spécificités de l’enfant doué apparaissent et doivent être prises en compte. Sa sensibilité excessive produit ses effets particuliers, toujours surprenants et rarement compris comme tels.

L’enfant doué est rentré en classe, il a réussi à vaincre son appréhension, cette année la maîtresse semble gentille, elle l’interroge comme elle interroge les autres et le félicite pour ses réponses réfléchies. Encouragé, il ose se montrer un peu plus spontané, il va même jusqu’à poser des questions quand un sujet le tracasse, l’atmosphère de la classe paraît paisible, mais l’enfant doué ne se sent pas complètement en confiance.

Très tôt dans sa jeune existence, il a découvert qu’on ne le comprenait pas toujours et que les grandes personnes sensées comprendre les enfants interprétaient ses paroles au lieu de les écouter.

La plupart des autres enfants de son âge ne le comprennent pas davantage : s’il avait le choix, il aimerait mieux aller avec des enfants plus âgés, qui n’ont généralement rien à faire d’un «petit», ou avec des plus jeunes, mais il faut que les circonstances s’y prêtent : dans ces deux cas, sa différence est admise et normale, personne ne s’en étonne, il est tranquillisé.

Parfois l’enfant doué se voit peu à peu cantonné dans le rôle de l’extra-terrestre qu’il est si amusant de railler et même d’embêter puisque toute la classe peut s’y mettre sans grand risque : un jeu enfantin, quelques moqueries, rien de dramatique.  On dira «il l’a bien cherché, il n’a qu’à se défendre, ce sont des jeux d’enfants, c’est lui qui se place délibérément à l’écart…»

Le plus souvent, il ne s’agit que de subtils décalages : les enfants doués disent, «j’ai plein de copains»,  si on insiste, ils reconnaissent qu’ils n’ont pas de véritables amis, mais ils se satisfont de leur sort du moment qu’ils peuvent partager les jeux des autres enfants et ces relations superficielles rassurent néanmoins tout le monde.

Pourtant il suffit d’un événement inattendu pour que ce délicat équilibre soit perturbé et sa situation en classe se détériore sans que les causes en soient claires : généralement, l’enfant doué se garde bien de se mettre en avant, il ne tient pas à se faire remarquer par des connaissances trop riches ou par une agilité intellectuelle trop manifeste, mais, dans sa classe, un élève se pose en rival : considéré comme un bon élève, il doit tout de même  travailler, il réussit, mais de façon un peu besogneuse et il pense qu’il serait le meilleur s’il n’y avait la présence perpétuelle de celui qui réussit avec cette aisance exaspérante. Sournoisement jaloux, il commence à saper l’image de l’enfant doué qui ne se doute de rien et pensait même au début de l’année avoir trouvé un véritable ami, puisqu’ils obtenaient tous les deux de bonnes notes et devaient donc posséder des caractéristiques communes.

Très vite, leurs relations se sont espacées, détériorées et l’enfant doué découvre avec surprise que toute la classe le met à l’écart. La jalousie de plus en plus furieuse de celui qui sait qu’il ne possédera jamais cette fulgurance dans ses remarques lui a inspiré les insinuations les plus perfides afin de démolir sans rémission cet enfant trop doué. Certains enfants dans la classe  auraient tout de même préféré garder des relations amicales avec cet élève attirant par ses idées originales et par son humour, mais ils s’en gardent bien pour ne pas connaître le même sort et être, eux aussi, mis à l’écart.

Cette situation peut se transformer en un véritable drame qu’il ne faut pas sous estimer.

Quand l’enfant doué piétine dans sa classe, s’y ennuie et, de surcroît ne s’y trouve pas bien on peut envisager un saut de classe. On oppose un argument d’apparence irréfutable : «déjà qu’il ne s’entend pas avec les enfants de son âge, il ne pourra pas du tout s’intégrer avec des enfants plus âgés», alors que cette solution est toujours bénéfique. Justement, il s’entend mieux avec des enfants un peu plus âgés, les centres d’intérêt sont plus proches, la communication plus facile. Pour mémoire, il faut mentionner l’habituel «manque de maturité» à propos d’un enfant si subtil, perspicace et avisé. Cette opinion péremptoire est impossible à contester, les exemples donnés par les parents semblent toujours dérisoires et sujets à caution sous le regard foncièrement critique des pédagogues.

Dans tous les cas, cette intégration doit être facilitée par l’enseignant, les élèves copieront le regard qu’il porte sur l’enfant doué. Ils décèleront aussi la moindre critique traduisant le malaise  provoqué par cet enfant différent qui pose des questions dérangeantes et rêve aussi parfois un peu trop longtemps, comme si le cours ne l’intéressait pas alors que la maîtresse pensait faire découvrir à sa classe des données passionnantes.

On méconnaît toujours la sensibilité des enfants doués : l’intensité des réactions qu’elle provoque ne s’accorde pas avec l’esprit logique et rationnel de ces enfants qui raisonnent avec tant de rigueur. On les croit solides, peu sensibles aux attaques, alors qu’ils sont profondément blessés par une réprimande d’apparence anodine lancée à la légère. Elle laisse des marques durables, douloureuses qui s’effacent difficilement. Des adultes citent encore des remarques qu’on leur a adressées et qui ne se sont jamais effacées de leur esprit.

Il est indispensable de permettre aux enfants doués de se retrouver avec des semblables, ne serait-ce que pour quelques activités ponctuelles, c’est, pour eux, un soulagement de constater qu’ils ne sont pas isolés, irrémédiablement différents et condamnés à la solitude. Ils respirent, s’amusent et puisent des forces pour affronter un quotidien parfois lassant. Quand, par un heureux hasard, des enfants doués se rencontrent, ils semblent immédiatement et irrésistiblement  attirés l’un par l’autre, comme par un aimant.

Cependant, certains, possédant une âme de leader, savent s’attirer la sympathie d’un groupe où ils s’imposent tout naturellement. Délégué de classe, ils ne craignent pas d’affronter les adultes pour faire valoir des droits ou des revendications dans le langage élégant et précis qui les caractérise et rend plus complexes, difficiles et délicates leurs négociations avec les adultes.

La sensibilité des enfants doués constitue pourtant une réserve inépuisable de richesses, de créativité, d’imagination fertile, toutes qualités qui feront le bonheur de ceux qui  les utiliseront pleinement dans leur vie adulte et aussi de ceux qui admireront les fruits appréciables que procurent des dons bien utilisés.

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