Julie Bertuccelli, cinéaste libre et sensible

CINÉMA - Dans "Dernières Nouvelles du Cosmos", en salles le 9 novembre 2016, Julie Bertuccelli pointe sa caméra sur Hélène Nicolas, une artiste autiste subjuguante de talent. Le Journal des Femmes est parti à la rencontre de la réalisatrice.

Julie Bertuccelli, cinéaste libre et sensible
© ALIX WILLIAM/SIPA

Accrochez vos ceintures. Dans Dernières Nouvelles du Cosmos, Julie Bertuccelli nous embarque dans la vie d'Hélène Nicolas, aka Babouillec. Au travers de sa caméra, elle dévoile le quotidien de cette jeune artiste de 30 ans, autiste privée de parole ce qui ne l'empêche pas pour autant d'écrire et d'exprimer ses sentiments. À 48 ans, Julie Bertuccelli, réalisatrice de Depuis qu'Otar est parti, La Cour de Babel et L'Arbre s'est intéressée à Hélène, ses œuvres et son ouverture au monde. Rencontre. 

Le Journal des Femmes : Comment vous est venue l'idée de ce documentaire ?
Julie Bertuccelli : Tout est parti d'une rencontre avec Hélène lors d'une représentation de "Du fond des gorges", spectacle inspiré de son ouvrage Algorithme éponyme mis en scène par Pierre Meunier que je connais bien. Il avait entendu parler d'une jeune femme autiste qui ne parlait pas, mais qui écrivait avec un vocabulaire extraordinaire, poétique et fort pour évoquer son monde et le nôtre. J'ai été bouleversée par cette jeune fille qui ouvre des portes et bouscule nos à priori. La société nous enferme dans des codes, mais Hélène nous prouve que la différence est une richesse.

Pouvez-vous nous présenter Hélène ?
Hélène est d'une liberté totale. Elle n'a pas notre manière de sentir et d'appréhender le monde. Son cerveau hyper développé lui donne une perception très globale. Elle ne sent pas la limite de son corps avec l'autre donc toute personne qui arrive vers elle peut être une intrusion forte. Mais grâce à sa mère qui a fait un travail magnifique, elle s'est ouverte progressivement parce qu'elle sait qui elle est et elle veut rester libre. Hélène ne se laissera jamais enfermer dans des conventions, cela fait réfléchir.

Avez-vous rencontré des difficultés durant le tournage ?
Pas vraiment. Hélène et moi étions dans une relation d'acceptation l'une de l'autre. Je lui demandais régulièrement si la caméra la gênait et j'ai volontairement laissé quelques-unes de ses réactions parce que c'est important de prouver qu'elle s'est sentie bien face à l'objectif. Elle était enfin regardée pour ce qu'elle était, c'était fort pour elle. On a eu une chouette relation, mais je ne voulais pas faire un documentaire où tout va bien. Elle a surmonté de nombreux obstacles pour s'ouvrir à nous et elle s'est retrouvée confrontée au chemin qui lui reste à parcourir pour bien vivre cette exposition nouvelle.

Comment s'est établie la confiance entre Hélène et vous ?
Notre relation s'est nouée assez vite. On s'est rencontrées à l'occasion d'un spectacle de Pierre Meunier qu'elle était venue voir. Je me suis sentie tellement bien que nous nous sommes vite comprises. Ce n'est pas facile d'être face à quelqu'un qui ne parle pas. Il y a tout de suite eu une forte relation qui fait que si quelque chose l'avait dérangé, elle me l'aurait fait comprendre tout de suite. Elle a écrit une lettre après avoir découvert le film et c'était magnifique. Elle comprend l'éternité de l'instant. C'est un vrai retournement du corps pour elle. Elle a également noué un lien avec la caméra pour exister dans un espace de partage avec nous. Nous avons beaucoup à apprendre d'elle. Énormément.  

Vous vous êtes imposée dans le format du documentaire. Est-ce une manière de faire passer votre message plus efficacement ? 
Efficacement, je ne sais pas. J'aime cette manière d'appréhender et de regarder le monde. Les protagonistes ont une justesse plus essentielle que dans une fiction. J'essaie de ne jamais laisser transparaître un message politique évident, mais de le glisser entre les lignes. Je ne veux pas faire de films ostensiblement militants qui obligent le spectateur à penser comme moi. Je veux qu'il se pose les questions lui-même, qu'il soit actif. Un documentaire est un film d'immersion. Tout ce qu'il s'y déroule est vrai, l'impact est plus important.   

Que vous a apporté votre rencontre avec Hélène ?
L'ultra-nécessité et la grande richesse de la liberté intérieure. Il faut être plus près de soi-même et être libre de nos instincts, de nos sensations, être libre de créer. Je suis aussi confrontée à une sorte de création. Je me pose les mêmes questions qu'elle par rapport à mon chemin intérieur. Je veux être moi-même dans mes œuvres. Elle m'a confortée dans l'idée qu'il ne fallait jamais faire pour les autres.

Que diriez-vous à nos lectrices pour qu'elles aillent découvrir le film ? 
La société trop modélisée nous fait toujours voir ce que l'on aime déjà et nous incite à faire comme tout le monde, à être dans la norme. C'est beau d'être bousculé dans nos à priori. Il faut aller voir Dernières Nouvelles du Cosmos si l'on veut comprendre que l'altérité est précieuse. Hélène touche en nous une chose profonde et replace dans une relation d'humanité. Cette ouverture à l'autre est d'autant plus importante dans une société qui dénonce "l'autre". Hélène pulvérise ces préjugés pour que l'on prenne du recul. Le monde a besoin de découvrir Babouillec parce que ses pensées touchent quelque chose qui nous rend plus fort aujourd'hui.

Découvrez la bande-annonce de Dernières Nouvelles du Cosmos, en salles le 9 novembre 2016 :


Dernières nouvelles du cosmos
Dernières nouvelles du cosmos Bande-annonce VF